Des amis sont partis

Ils ont été nombreux à nous quitter.Pour changer de monde.En une semaine,un peu moins,je ne sais plus.Il y a de ces moments où nous oublions tout,des moments qui nous font tout perdre.Il faut du temps pour se récupérer,pour assembler ces parties,ces éléments de nous-mêmes.
-Zenasli H'med.Nous sommes connus en 1963.C'était en classe de 6eme au CEG Mouloud Feraoun.Nous sommes restés amis depuis,jusqu'à ce que la mort vienne nous séparer. Beaucoup de choses reviennent,confuses,elles se chevauchent, beaucoup de souvenirs.Sa voiture de l'année 78,neuve,il l'appelait "Janette",Sidi bel Abbès,la piscine de Saida, chez Mostafa.M,jusqu'à 1h du matin,la piscine qu'on aimait attribuer à "Torro",la piscine où s'était produite Hadja Hamdaouia.Je la revois,cette nuit,avec l'Américain,Mr Philippe Rotch, notre Prof d'Anglais au Lycée Abdelmoumen, avec son long châle rouge qui lui descendait jusqu'aux genoux."Mancer,you are very good in english",écrivait-il à la dernière page de ma double-feuille des interrogations écrites ou de compo.
Avec H'med et d'autres,Baghdad Bouguenina,Kerroum Benabdallah,Tayeb Reffas,Salem Ikhlef,Omar Benzaid...,c'étaient aussi les longs débats sur la Révolution agraire,sur la terrasse de "qahwette el Mouloudia"ou de"la Princière",chez Belahouel,très rarement à "Buen gusto" de Mezaita.
Issu d'une famille de gros propriétaires fonciers,GPF,dans notre jargon d'alors,H'med émettait des réserves mais n'était pas foncièrement contre,même si sa famille s'est vue expropriée de centaines d'hectares(on parlait officiellement de "délimitation de la propriété privée").
Très tôt,il le savait:"ça ne réussira pas,tu vas voir,"ils"viendront,ceux qui,après l’échec,profiteront de nos terres qu'ils ne sauront pas travailler,ils seront plus féroces que les colons,tu vas les voir aussi ces gens-là qui disent Taya(tahya...)",je ne suis pas prophète mais tu les verras,me disait-il.C'était au milieu des années 70
Ces derniers temps,je le savais malade,des va-et-vient entre l'hôpital de Saida et celui de Bel Abbès.
Avec mon ami et beau-frère Omar Benzaid,j'ai été lui rendre visite chez-lui.Dans une chambre,Il était allongé,je me suis approché de lui,posé un baiser sur son front.Je l'ai appelé "H'med".Lentement,très lentement,il a levé les yeux vers moi,n'a pas dit un mot,dans une indifférence totale.Il ne nous a pas reconnus et j'ai compris que H'med,mon ami de plus de cinquante ans était des partants.
-Amrani Mohamed.On l'appelait"Marco",notre coiffeur des années 70,de notre quartier Lamarine,Lamarine de mon enfance,Lamarine d'un peu de ma jeunesse.C'est chez lui qu'on allait,quand on voulait changer de nos cheveux longs,pour "une coupe basse", "une coupe Marlon Brando"ou tout simplement pour un shampoing ou un séchoir.C'est chez lui,dans son salon de coiffure,qu'on se retrouvait tous les soirs,pour passer le temps,pour discuter foot-il a été gardien de buts au MCS-,en écoutant de la musique.Il était fou de Abdelwahab Doukali, mais préférait Abdelhadi Belkhayat qui venait d'atteindre les sommets avec sa chanson "3leh jitini fi had eddorof",disque d'or de la chanson arabe de l'année 73 ou 74.
Lui aussi était malade.
-Ikhlef Mohamed,ou "qchich"mais beaucoup plus "Mouhali".Mouhali,diminutif de Mohand Akli,Mohamed el 3abd,serviteur de Dieu.
Mouhali est (était)un cousin du côté maternel.Il était très apprécié dans la famille pour son sens du devoir.Rien ne peut l'empêcher de rendre visite à un malade,aux vieux de la famille.Cette visite était toujours courte.
Très jeune,dans les années 60,il avait commencé à flirter avec le handball.On ne pouvait pas être Saïdéèn et ne peut pas fréquenter "La Patriote".
La Patriote.Là aussi,beaucoup de visages me reviennent.Les uns sont partis,d'autres ont changé de bled,de pays,d'autres encore sont là,mais beaucoup de choses ont changé et ils ne se reconnaissent plus dans leur cité où il faisait bon vivre.Ils se sont retranchés,cédant la place et "sur-la-place" aux "audacieux".
-Meshoub Bentabet.Nous avons partagé le même quartier,moi,à la Cité Heureuse et lui partageait un "haouch","grande maison",située sur l'actuelle "Avenue Abane Ramdane",avec ses cousins les Meshoub, Mohamed,Djillali,Mejdoub...
Etant parmi les premiers à "s'en aller" vers d'autres cieux,vers la fin des années 60,je ne l'ai jamais revu,jusqu'à ce l'on m'annonce son décès en France.
Saïdéèn,Bentabet a aussi été du passage obligé,de "La Patriote".
Que leurs âmes reposent en paix.

Allah Yerham tout ce beau monde ,


Inchaallah.