A Nazim,mon fils.

Comme tous les matins,ces derniers temps,
J’ai été au jardin public,
Le seul de toute la ville de Saida,
hérité de l’ère coloniale.
J’ai rejoint la table à laquelle je commence à m’habituer,
Omar n’était pas là,Djelloul et Boumediène,non plus.
J’ai demandé un thé,allumé une « Gouloise » et j’ai respiré.
L’odeur des fleurs.
mêlée au tabac.
La première page de mon journal « el Watan »
indiquait 04 juin 2016.
J’ai failli oublier.
Bon anniversaire,Nazim,mon fils.
33 ans,déjà.
Mon Dieu,comme le temps passe vite.
Tu ne le sais,peut-être pas,
je ne sais plus.
Ce prénom aurait pu être un autre,
j'avais pensé à Hikmet
c'est aussi beau et j'aurais pu placer les deux
Nazim Hikmet.
Comme j'avais peur que notre Etat Civil me les refuse,
pour la raison bête
qu'ils n'existent pas sur "leur" nomenclature
-n'en ris pas,c'est comme ça-
j'ai opté pour un seul,le premier.
J'espère que tu en es fier.
J'ai peut-être bien fait,
avec un seul,combien tu avalais de chocolat,
qu'en aurait-il été avec deux?
Maintenant,tu es marié,tu as deux enfants
que Dieu te les garde
Je les aime bien,tu sais
C'est la première fois que tu l'entends,
il y a des choses qu'un père ne dit pas.
des choses imprononçables,
qui refusent de sortir de la bouche,
elles restent enfouies,
vous les saurez plus tard.
Toi aussi,coquin,tu as su leur choisir les prénoms
Amayass et Ritadj.
A Amayass,tu as collé Hamiche,
Ton grand-père
et c'est encore plus beau
C'était un Homme.
Tu vois,des êtres qu'on aime se conjuguent aussi au passé.
Maintenant,tu as grandi
et,soudain,tu veux avoir ta propre maison,
tu veux voler de tes propres ailes,
"il fallait bien que vienne un jour ce mal..."chantait Aznavour.
Tu as fait faire des travaux
J'ai été visiter,
j'ai constaté que tu as de bons goûts.
J'ai beaucoup aimé la petite chambre
que tu réserves aux enfants.
Eux aussi partiront un jour.
Mais avant,
tu apprendras à Amayass à aimer la poésie.
Il n' y a a que la poésie pour aimer,
pour apprendre à aimer.
Aimer Dieu,
aimer son pays,
ses hommes,
ses femmes
aimer la vie,
"l'important,c'est d'aimer".
Là,c'est le titre d'un film.
Tu n'as pas pu le voir,
il n'y a plus de cinéma,
les salauds l'ont tué.
Et pas seulement le cinéma.
Fais-lui aimer la poésie,
à Amayass.
Des poètes,je ne peux pas te les citer,
mais ce joli poème de R.Kipling est un peu spécial

"Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils".