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Message par mancer ahsene Ven 7 Déc 2018 - 7:27

Merzoug Bendida: l'instituteur
J'ai fréquenté Merzoug Bendida pendant quelques années en tant que collègue puis ami et enfin parent d'élève (j'étais le professeur de sa fille au Lycée de Jeunes Filles). Avec le recul du temps, je me rends compte de la chance que j'ai eue à travailler avec cet homme fin de corps comme d'esprit qui instruisait ses adjoints sans avoir la prétention de le faire et qui les comprenait sans se permettre de les juger. 
En m'accompagnant pendant les premières années de ma carrière, il m'a aidé à fonder une conception du métier d'enseignant et asseoir une conscience professionnelle basée avant tout sur l'intérêt de l'élève. C'est en observant et analysant ses commentaires et ses réactions face à des situations données que je suis arrivé à me former.
A l'Ecole Normale, j'ai appris que, "le rôle de l'école consiste à enseigner rigoureusement les connaissances nécessaires". Notre professeure de psychopédagogie de l'époque (Arlette Derivry avec qui je m'entretenais souvent quand je lui présentais en fin de séance, le cahier de textes pour le signer) m'avait dit une fois, que si on prenait en considération un certain nombre de paramètres (le temps où tout n'était acquis ni de droit ni de fait) on devrait parler de mission et non de rôle de l'école. Le champ est toujours en friche; il y a toujours du pain sur la planche pour ceux qui veulent faire travailler leurs méninges; Dieu merci.
L'adverbe "rigoureusement" implique les exigences ou les obligations qu'impose une logique (de formation dans ce cas précis) qui sous-tend une science ou une politique ou une morale. J'ai dit une fois à ma professeure, après un remarquable cours de pédagogie, "n'est pas enseignant qui veut" et elle m'a dit, "c'est juste mais ça ne doit pas vous décourager; c'est l'expérience qui détermine tout".
L'ancienne appellation "maître" pour désigner et/ou qualifier les fonctionnaires chargés de cette mission, revêt ici toute son importance. Il y a bien sûr, matière à discourir sur le(s) sens de ce mot en amont comme en aval. Mais ceci n'est pas à l'ordre du jour: le présent texte est écrit d'abord pour rendre hommage à un homme dont on a tendance à oublier le mérite et les services qu'il a rendus à l'Education.. Je souhaite que l'école qui porte son nom se fixe un jour comme but, de former des élèves à sa hauteur. Sinon!
L'adverbe (encore que ce n'est qu'un "ad quelque chose" et non le noyau du sens) peut nous orienter vers une autre piste de réflexion sur les contrats/pactes d'ordre social, politique ou moral. Qui dit contrat, dit limites, contraintes, engagement et droits aussi. De ce fait, l'acteur (au sens large du terme) n'est nullement dans une situation confortable avec une espèce d'épée de Damoclès au-dessus de la tête (vu le poids de la responsabilité qui pèse sur lui, auquel le pays confie ses enfants) et des armes dans la main pour se défendre. Baliser le terrain c'est clarifier les choses, c'est permettre à tout le monde de savoir qui est qui. Exit les bals masqués!
Le maître d'école est encore appelé "instituteur". Ce vocable vaut pour son pesant de mystère car il renvoie à tout un réseau de codification: dénotation sur le plan statutaire pour épingler l'intéressé, pour lui signifier sans ambiguïté ce que la nation attend de lui et connotation sur le plan sémantique pour lui donner une certaine ampleur, une certaine épaisseur et une certaine liberté. Il est question ici d'éthique où la conscience se taille la part du lion. Encore une bonne dose de mystère à dissiper; peut-être à entretenir pour inciter à réfléchir ceux qui ne se contentent pas de couleuvres ou de ragoûts; autrement dit, ceux qui ont le courage ou l'audace de prendre les choses à bras-le-corps, les partisans du principe à bas le prêt-à-porter; à bas le tout-cuit!
Etymologiquement, l'instituteur est celui qui établit, qui fonde. Ce n'est pas par pédantisme ou jeu de mots stérile que je tiens à rappeler certaines choses (connues au demeurant, par tout le monde). Le mot "fonder" est employé ici, dans le sens de fonder une maison, une doctrine, une nation, un parti.....; faire exister quelque chose à partir de rien, plutôt à partir d'idées et de valeurs incontestables; initier quelque chose et l'imposer comme référence ou repère ou conduite ou modèle à suivre. Somme toute, comme une chose incontournable (libre à chacun d'en comprendre les raisons).
Que fonde un instituteur? Une philosophie? Une conduite? Un citoyen? Une personnalité? Un lâche? Un tyran? Un justicier? Il est évident que vues sous cet angle-là, les choses ne sont pas simples. Ce qui est certain c'est que l'instituteur pose les bases de quelque chose. Dans ce type de problématique, seule l'intelligence est capable de démêler les fils pour mieux en clarifier les liens.
Mes rapports avec Merzoug Bendida n'étaient pas au fixe pendant un certain temps à cause d'un malentendu qui date de ma première affectation dans son établissement (l'Ecole Benbadis). 
J'étais en fin d'adolescence; une phase psychologique importante et délicate; une phase où des choses essentielles commencent à se mettre en place dans la tête par l'affirmation de soi, par opposition à des personnes-symboles, souvent en croisant le fer avec elles. Merzoug Bendida était mûr à l'époque et bien assis sur sa notoriété d'instituteur, titulaire d'un baccalauréat acquis haut la main dans un système colonial (ce deuxième mérite le plaçait parmi l'élite de l'élite de la ville de Saïda de l'époque).
Personnellement, j'avais beaucoup d'admiration pour lui depuis mon enfance (depuis que j'étais élève à l'Ecole Jonnart). C'était une fierté pour nous de voir un arabe (fils du quartier Village Boudia) devenir maître au même titre que nos instituteurs français.
C'est lui qui avait trouvé le moyen de faire chuter la tension un jour dans son bureau. Après une discussion orageuse, il m'a demandé quel âge j'avais. Quand j'ai répondu à sa question, il m'a dit "tu aurais pu être mon élève et même mon fils".
J'ai senti à ce moment-là, toute ma colère et toute mon animosité fondre comme neige. Il a cessé d'être à mes yeux le despote, le suspect dont il faut craindre les peaux de banane pour devenir l'homme de confiance dont il faut écouter les conseils et accepter les critiques.
Je me souviens, une fois, pendant la correction de l'examen de 6°, un collègue (correcteur) nous a lu une rédaction d'un candidat qui l'avait impressionné. A l'unanimité, nous avons apprécié la qualité du texte (maîtrise de la langue, fluidité du style, belles images). Nous avions tous des doutes sur la capacité d'un élève de CM2 à faire une rédaction de ce niveau. Nous avons changé d'avis à la fin (après les délibérations) quand nous avions appris que l'auteur de cette belle rédaction était le fils de Merzoug Bendida. 
J'ai pris conscience à ce moment-là que le fils d'un enseignant ne pouvait être qu'un très bon élève non par miracle ou héritage comme on semblait le croire autour de moi, mais par le travail, le sérieux et la pugnacité du père. Je me suis dit, et c'était ma première leçon d'enseignant-citoyen, que j'étais condamné à former mes futurs enfants, à en faire de très bons élèves. Je me suis dit que l'enseignant était redevable plus que les autres à la Nation; il n'est pas un simple géniteur. Il est l'artisan ou l'auteur ou quelque chose d'autre (les mots sont difficiles à trouver pour décrire cette spécificité) qui fournit à son pays et à l'humanité tout entière, la matière grise qui fera avancer le monde. Je me suis souvenu à ce moment-là d'une citation lors d'un cours de littérature portant sur la querelle des Anciens et des Modernes, "nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants".
Merzoug Bendida donnait, l'exemple de l'instituteur par sa manière d'être, par sa tenue vestimentaire, son assiduité (présent à l'école depuis la rentrée jusqu'à la sortie des élèves), par l'intérêt qu'il accordait au bon fonctionnement de l'école. Je me souviens, une fois, quand je suis venu récupérer les cahiers de composition que j'avais laissés dans son bureau le matin, il m'a demandé de m'asseoir. Puis, il m'a montré deux cahiers qu'il avait mis de côté et demandé de justifier les notes sur l'épreuve d'écriture que j'avais données à l'un et à l'autre. A l'époque, on faisait copier individuellement par les élèves deux ou trois phrases et on leur attribuait une note (comme en calcul, lecture..) en se basant sur trois critères: la forme des lettres, le respect des lignes et interlignes et les taches (on écriait à l'encre, avec le porteplume). Il m'a écouté attentivement, je m'en souviens encore, il ne m'a pas fait de reproche sur mes intentions mais il n'a pas manqué de critiquer mes critères d'évaluation et donné d'un ton ferme, des consignes à suivre. 
Ce qui m'a le plus frappé c'est qu'il lisait tout; il ne se contentait pas d'une signature ou d'une appréciation à partir des résultats obtenus par les élèves.
Après la récréation de l'après-midi, il avait l'habitude de faire des visites inopinées dans des classes. Il se mettait en retrait et observait l'enseignant et les élèves à l'oeuvre. En cas de problème (un enlisement, et c'est ce qui arrivait toujours), il prenait la classe en main. Il arrivait à débloquer habilement une situation, à remédier aux maladresses de l'enseignant, à établir une transition d'une phase de la leçon à une autre. Je savais qu'en théorie, l'enseignant devait bannir les explications et privilégier des mises en scènes pour amener l'élève à comprendre et découvrir par lui-même; d'où, le sens étymologique de "pédagogie" sur lequel insistait beaucoup notre professeure de l'Ecole Normale. C'est ce que je prévoyais dans mes préparations mais tout ne se déroulait pas exactement comme prévu et il fallait beaucoup de vigilance, de doigté et d'intelligence pour gérer les surprises et les pépins. On parlait à l'époque de "maître chevronné".
J'ai remarqué que Merzoug Bendida, lors de ses interventions, tablait sa stratégie tantôt sur les bons élèves, tantôt sur les dissipés, tantôt sur ceux qui décrochaient facilement. Les avantages qu'on en tirait étaient multiples: réconforter les sérieux et les encourager à persévérer, tirer d'autres de leur sommeil, attirer l'attention des autres et les obliger à s'impliquer. Quand il s'adressait aux élèves, il passait des félicitations aux injonctions. Dans ses commentaires, il employait constamment des mots-clés qui renvoyaient à des théories comme "attention", "volonté" et cela me donnait l'occasion (me mettait dans l'obligation) de revoir mes cours et donc d'allier théorie et pratique.
J'ai pris goût à discuter avec lui de temps en temps dans son bureau. Une fois, j'avais un livre de Stendhal à la main édition Flammarion. Sur la couverture, il y avait la photo d'un bel acteur habillé en soutane. Merzoug Bendida y a jeté un coup d'oeil et dit, "le rouge et le noir". Je lui ai dit, "moi, je ne vois que le noir" et il m'a répondu en souriant, "le rouge est à l'intérieur, dans l'épaisseur des pages; c'est l'armée". J'étais jeune et je m'intéressais principalement à la trame romantique (je ne trouvais pas très utiles les notes et les commentaires qui se trouvaient en bas des pages et en annexe et qui renvoyaient au contexte).
Je me suis ressaisi à ce moment-là; j'avais l'impression qu'il m'avait tiré par la main et montré d'autres pistes de lecture. Nous avons discuté un moment du livre, des courants littéraires du XIX° siècle, de Stendhal et d'autres écrivains. J'étais impressionné par l'étendue de sa culture et par la pertinence de ses réflexions (ses idées étaient précises et nuancées, son vocabulaire approprié). J'ai compris que l'histoire du livre reposait certes, sur des ressorts psychologiques qui avaient leur importance mais en arrière-plan, il y avait toute une vision sur les enjeux de l'époque, sur les règles de la réussite sociale et sur le thème de l'ambition (comme l'avarice ou l'hypocrisie chez Molière par exemple).
Je me suis dit que j'aurais compris ces choses-là depuis longtemps si j'étais le fils d'un instituteur.
Peu de temps après, j'ai décidé de poursuivre mes études à l'université.
La satisfaction de tout instituteur, comme de tout intellectuel, comme de tout révolutionnaire, c'est de quitter ce monde serein, avec la certitude que ses efforts et ses sacrifices iront se jeter dans des affluents pour alimenter de grands fleuves.
Djillali Aouad 
Saïda, Juin 2018

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