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hommage a assia djebar

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Message par Aouad Djillali Sam 18 Avr 2015 - 17:05

Aouad Djillali
Tel:  06 63 30 16 46
aouad_d@yahoo.fr
HOMMAGE A ASSIS DJEBAR


ASSIA DJEBAR: UNE VOIX LIBEREE

Il est du devoir d'une nation de rendre hommage à ses intellectuels. Cette année, nous avons perdu une grande écrivaine; elle a droit à un hommage. Ma modeste contribution se limite à une lecture de ses livres et de ses productions cinématographiques. C'est donc en tant que lecteur que je vais intervenir et non en tant que spécialiste. Je souligne au passage que je n'ai pas lu d'études consacrées à Assia Djebar et je ne connais pas grand chose sur sa biographie sinon qu'elle est née en 1936, qu'elle est la fille d'un instituteur, qu'elle a fait de brillantes études en Algérie et en France, qu'elle a vécu longtemps en France et qu'elle s'est mariée deux fois: la première avec un responsable politique pendant la révolution en Tunisie et la deuxième avec le poète et dramaturge Malek Alloula, frère de Abdelkader.

Pourquoi une grande dame?
-Elle a écrit sans interruption pendant plus de 50 ans depuis son jeune âge; elle a écrit à ma connaissance une vingtaine de livres; j'en ai lu une bonne dizaine
-Elle a édité ses livres dans de grandes maisons d'édition en France comme 10/18. Robert Laffont, Livre de Poche... Si des éditeurs de cette envergure ont accepté d'éditer ses livres c'est qu'ils les ont jugés valables.
-Ses livres sont étudiés dans les universités; exemple, dans les années 70, à l'université d'Oran, nous avons étudié un de ses livres dans le cadre d'un module consacré à la littérature algérienne.
-Elle a fait l'objet de plusieurs thèses
-Elle a eu plusieurs prix et récompenses
-Elle a été élue membre de l'Académie Française. Il est important d'ouvrir une parenthèse ici: les membres de l'Académie française sont élus à vie; c'est pour ça qu'on les appelle les Immortels. Leur nombre est limité; on en élit un après la mort du titulaire d'une chaire; soit, un tous les dix ou quinze ans. On en choisit un parmi les millions de grands écrivains (dont la notoriété a été déjà reconnue)
-Le critère: avoir contribué au rayonnement de la langue et la culture françaises. Cela ne veut pas dire qu'il faut être un amoureux inconditionnel de la France ni quelqu'un qui fait l'éloge de sa culture et de son histoire. Pour nous limiter au cas d'Assia Djebar, elle n'a cessé de dénoncer la colonisation française dans ses productions et dans toutes ses interventions.

Assia Djebar et la langue française.
Il faut souligner qu'Assia Djebar n'a jamais caché son amour pour la langue française; j'évite d'employer le mot "francophonie" parce qu'il est chargé de connotations. Dans un de ses livres, probablement "ces voix qui m'assiègent", elle parle de la langue française comme un territoire. Ce qui suppose une double existence physique et morale; c'est-à-dire quelque chose qui est à la base de toute sa conception et son engagement.
Elle reconnaît que la langue française lui a donné une voix; c'est-à-dire, qu'elle lui a donné la possibilité de s'exprimer, de produire des discours; de sortir de l'anonymat et du silence.
Sans parole parce que indigène.
On sait que pendant la colonisation, il y avait en Algérie ainsi que dans tous les pays colonisés, deux communautés:
Une composée de Pieds-Noirs, c'est-à-dire celle des vrais citoyens qui avaient tous les droits et tous les privilèges (en ce qui concerne une classe, du moins).
Une composée de la population autochtone, les premiers habitants (arabo-berbères) qui avaient le statut officiel "d'indigènes", autrement dit, des sous-êtres qui n'avaient aucun droit et aucune dignité; elle était définie par les autres.
Sans parole parce que femme.
A l'intérieur de la communauté indigène, la femme était réduite au silence; c'est l'homme qui parle en son nom et c'est encore l'homme qui décide à sa place. Il y a lieu de préciser ici que Assia Djebar ne fournit aucune critique à l'égard de ce statut et ne prend pas l'homme comme responsable ni comme ennemi de la femme. Elle constate que l'organisation sociale de la population arabo-berbère est due à des coutumes, des traditions et des mœurs qui remontent à très loin dans le temps. Il faut encore préciser que dans la société traditionnelle, la femme n'est pas abandonnée ni maltraitée par l'homme. Au contraire, elle est prise en charge par la société (notamment la famille). On se rappelle que jusqu'aux années 60 et même plus pour certaines régions du pays, la fille algérienne quittait l'école (sur décision de la famille) très jeune (aux environs de 10 ans) pour rester cloitrée à la maison; là s'arrête son enfance et sa jeunesse et commence son initiation à l'âge adulte aux côté de la mère, la grand-mère, la tante etc.

Prendre la parole pour faire quoi?
Premièrement
En tant qu'indigène, elle n'est pas seule. Elle fait partie de l'élite indigène qui a réussi à l'école, qui maîtrise la langue française et qui a  acquis la compétence de s'exprimer, dans le jargon de la linguistique, on dit qu'elle est devenue capable de produire un discours. C'est le cas de tous les écrivains des pays colonisés et notamment des pays africains. Ils prennent la parole pour parler d'eux et de leurs concitoyens pour se définir eux-mêmes.
D'abord il fallait remettre en cause le discours du colonisateur; réfuter l'image qu'il a fabriquée pour définir l'indigène. les écrivains autochtones se donnent comme première mission de détruire l'image (la représentation) arbitraire et négative du colonisé.
L'image n'est pas un simple préjugé ou une qualification récente; elle résulte de tout un processus qui remonte au moyen-âge; la vision orientaliste dénoncée par Edourd Saïd. L'Occident, selon un processus psychologique du "même et de l'autre", fabrique une image pour désigner et décrire son voisin, l'Oriental. Il l'identité comme le contraire de l'Occidental: l'occidental est chrétien, l'oriental est sans religion, fanatique; le premier a une civilisation, une histoire, une éthique; l'autre est barbare, sans histoire, sans culture.
Cette image a été fabriquée sans observation, sans étude; à partir d'un instinct animal (l'animal se sent en danger en présence d'une autre espèce animale: il doit donc soit le fuir soi l'attaquer) et elle est devenue l'image valide est elle s'est figée. Elle a été ensuite renforcée et légitimée en quelque sorte par les guerres des croisades.
Quelques siècles plus tard, et selon le même principe, on a fabriqué une image négative des populations des pays qui ne se sont pas industrialisés comme les africains et les insulaires des trois  océans (atlantique, indien et pacifique), à partir du concept d'exotisme (que je définis personnellement comme l'intérêt accordé à l'extérieur, c'est-à-dire à l'étranger au sens global: géographique et humain). C'est un besoin de dépaysement qui poussait les occidentaux à voyager et découvrir d'autres contrées et partant, d'autres peuples. Ces populations étaient jugées arriérées, non civilisées, pauvres... ceci a justifié leur colonisation. En d'autres termes, il est présupposé que coloniser ces peuples arriérées serait leur rendre service. La conquête coloniale qui s'est faite dans la violence a naturellement amené les populations attaquées à se défendre et à résister pour leur liberté et leur dignité. Ceci a donné à l'idéologie coloniale l'occasion de renforcer ses préjugés et de s'enraciner.
Deuxièmement
Donner une autre image de soi-même; une image authentique, conforme à la réalité, une image assumée et défendue par les intéressés eux-mêmes, en un mot, leur identité. dans son livre "portrait du colonisé", Albert Memmi a expliqué pourquoi le choix de la langage française était judicieux dans ce contexte: la parole est adressée aux colonisateurs et leurs alliés.
Dans son discours d'investiture à l'Académie Française, Assia Djebar a restitué l'identité algérienne: je cite de mémoire, "je vous parle dans votre langue qui est devenue mienne; je viens d'un pays qui s'appelait la Numidie et qui était en rivalité avec le grand empire de Rome au temps où la France n'était pas encore un Etat; nos ancêtres arabes et musulmans ont apporté à l'Occident la science et la culture comme Ibn Sina et la paix et non la guerre, l'exploitation et la souffrance; nous avons été colonisés par vous et nous avons lutté pour notre liberté; aujourd'hui, nous maîtrisons votre langue et on en fait une passerelle d'amitié".
Il s'agit, en un mot, comme l'ont fait déjà les écrivains de la négritude dans les années 30; de prouver que les colonisés ont une histoire, une civilisation, une culture et qu'ils ne sont pas, de ce fait, plus arriérés ou plus sauvages que les occidentaux qui les ont colonisés.

Deuxièmement
En tant que femme, Assia Djebar fait du thème de la femme, sa préoccupation essentielle. La femme est présente dans toute son œuvre aussi bien littéraire que cinématographique.
Elle a traité ce thème en trois volets: 1)la mémoire des traditions 2)l'histoire de la société à travers ses composantes: berbère, musulmane;  3)"la femme algérienne et le 20° siècle". Je prends cette précaution pour rester dans l'optique de Assia Djebar, pour respecter le recul qu'elle avait pris elle-même pour traiter le sujet.

Le premier thème
La femme comme gardienne des traditions est traité dans les deux films: "la nouba des femmes du Mont Chenoua"  et "la zerda ou le chant de l'oubli" produites respectivement à la fin des années 70 et au début des années 80.
Le deuxième n'est pas un film à proprement parler; c'est plutôt un montage à partir des archives  qui datent de la période coloniale. Le montage repose sur un principe d'alternance d'images en noir et blanc: alternance entre des documents qui retracent l'histoire de la conquête des pays maghrébins par la puissance coloniale et la mise en valeur des figures de la résistance comme Abdelkrim El Khatab (MAROC) et Omar El Mokhtar (Libye). Alternance aussi entre des images exotiques de fêtes folkloriques organisées par les autorités coloniales de l'époque à l'occasion de cérémonies d'accueil organisées en l'honneur des responsables politiques pendant leurs visites en Algérie et des images sur la réalité vécue par la population dominée.
Il y a ici, une espèce de contraste entre ce que le pouvoir veut montrer et ce qu'il veut cacher et qui sort de l'oubli malgré lui; alternance entre l'artificiel et l'authentique; entre les fêtes d'apparat et les fêtes réelles qui reflètent la joie, les traditions et la culture des autochtones.
Le film est introduit par une image qui a toujours servi comme symbole de la femme algérienne: l'image de femmes voilées (en haïk) synchronisée avec une image sonore de portée didactique; "la mémoire est corps de femme voilée; seul un œil libre fixe notre présent".
Le message du film passe aussi par d'autres techniques: les commentaires sur les chants des femmes sont chuchotés; ils sont à peine audibles contrairement à ceux consacrés aux hommes. Ensuite, il y a un conflit entre deux commentaires sur les fêtes; un officiel et un non-officiel (celui des dominés). Le deuxième cherche à faire contrepoids au premier. La voix des opprimés arrive à la fin à s'imposer et à couvrir entièrement la voix de l'oppresseur jusqu'à l'étouffer, la réduire au silence comme devant un fait accompli (technique empruntée aux bruitages des avions aux environs des aéroports qui couvrent entièrement les autres sons et surtout les voix humaines et brouillent toute discussion et court-circuitent la communication).

"La Nouba des femmes du Mont-Chenoua" est à mi-chemin entre la fiction et le documentaire. C'est un film qui ne se déroule pas de façon linéaire mais selon un aller-retour constant entre le présent et le passé. Sa lecture nécessite un petit rappel des formes esthétiques en vogue dans les années 70. Le cinéma algérien commençait à prendre ses distances par rapport à la thématique de la révolution. Les films expliquaient les grands choix du pays, les défendaient et mettaient le spectateur en garde contre les obstacles et les problèmes qui se dressaient devant le développement du pays. On commençait aussi à s'intéresser aux problèmes sociaux tels que la drogue, le désœuvrement, des problèmes de jeunes etc.
C'est dans ce contexte qu'est sorti entre autres, "Omar Guetlatou" de Merzak Alouèche qui a marqué un tournant dans le cinéma algérien.
Sur le plan de la forme, le cinéma, comme la littérature (sous l'influence sans doute du nouveau roman), les réalisateurs ne considéraient plus le schéma linéaire comme la norme de référence à laquelle il fallait se conformer. Il faut signaler enfin que pendant les années 70 et 80; le cinéma, comme le théâtre, était influencé par Brecht dont on a retenu la rupture avec le théâtre élisabéthain: montage de spectacles avec les moyens du bord, abandon du faste au profit de la simplicité et la sobriété, moins d'intérêt pour la distraction au profit de la pédagogie, abandon du principe de l'identification à un héros au profit de celui de la distanciation. On a dans "la nouba des femmes du mont Chenoua", très souvent des juxtapositions d'images sans lien apparent. Ceci pour amener le lecteur à prendre du recul et donc à réfléchir au sens du film.  
"La Nouba des femmes du Mont-Chenoua" est l'histoire de l'Algérie racontée par des femmes à tour de rôle: plutôt leurs d'histoires personnelles qui sortent par bribes et qui, ensemble reconstituent les différentes phases de l'histoire du pays. D'où le titre nouba qui veut dire en arabe algérien "tour"; ou "à tour de rôle". Le ton est donné par le prélude (istikhbar); technique empruntée à la musique et au théâtre. Le ton dramatique de la voix féminine qui annonce le thème du film fait penser au coryphée de la tragédie grecque.
Le point de départ est la quête d'une jeune femme (Leila) qui rentre au pays après une absence de plusieurs années en Europe (certainement en France) qui a perdu tous ses repères ("là-bas, je suis une étrangère et ici aussi je suis une étrangère"). Dans le poète chanté, l'exil est synonyme d'égarement. Des images alternées entre le passé et le présent (bombardements de forêts au napalm/images bucoliques) montrent que la femme a quitté un pays en guerre pendant son adolescence et qu'elle a retrouvé un pays paisible et beau après l'indépendance; un pays où la femme est au travail aux champs aux côtés de l'homme.
Même au pays, dans sa région d'origine, elle n'arrive pas à s'adapter, à trouver un sens à sa vie; sa vision et son mode de vie sont différents par rapport à ceux des femmes qui n'ont jamais quitté le pays. Sa quête est formulée dans un cri mélancolique, "je me suis exilée et je traîne avec moi une douleur; une douleur de cent ans; des montagnes se sont dressées entre moi et lui (qui?)" Elle ("le") recherche pour démarrer une nouvelle vie. Ici, se met en place un jeu d'images entre le passé (des images d'archives sur la conquête du pays, sur l'organisation des espaces publics sous l'occupation; leur récupération par les algériens après l'indépendance) et le présent (exprimé par des scènes du film); et un jeu de rôles entre les différentes histoires racontées par des femmes. La vieille qui narre la légende du saint de la région Sidi Abderrahmane Chami qui joue un rôle important dans la culture et les croyances du milieu; l'autre qui raconte l'histoire des terres agricoles: ils sont passées des mains de la tribu à celles des colons; et enfin, leur récupération par les algériens; l'autre qui raconte la participation de la femme à la révolution; (des travaux de cuisine et de lessive dans les premiers temps et l'engagement dans la lutte armée par la suite (on cite ici l'exemple d'une femme connue sous le nom de Zoulikha et immortalisée sous le titre de "femme sans sépulture").
La leçon à retenir de ce film: si les coutumes ne sont pas tombées dans l'oubli c'est parce qu'elles sont reproduites dans les travaux des champs, dans les fêtes et dans les scènes des ménages; elles règlent la vie quotidienne des femmes. Par contre, l'héritage des romains demeure figé dans des ruines et des monuments en dégradation. Il est réduit à de simples connaissances scolaires apprises par cœur par des élèves, sans prise sur le réel.
L'entrée de la femme dans la modernité est esquissée à travers des images furtives (des gosses sur le chemin de l'école, des mamans voilées aux centres de santé pour vacciner leurs bébés, une femme au volant d'une voiture). Des frottements entre l'ancien et le nouveau sont exprimés à travers des scènes intercalaires comme la rivalité entre la cornemuse et la guitare; les hésitations de la femme architecte. Elle ne sait pas s'il faut avancer ou reculer; quelquefois, elle ne sait pas s'il faut sortir au grand air ou rester à la maison entre quatre murs, derrière des barreaux.
Le film vaut aussi pour ses images symboliques et impose donc une lecture à plusieurs niveaux. Par exemple, la relation du couple: Leila/Ali (handicapé) change de portée selon qu'elle est perçue dans sa synchronie ou dans sa diachronie. Au présent, Ali est handicapé (sur une chaise roulante), entièrement à la charge de la femme (Leila), une architecte et une femme valide. Comme quoi, le rôle de la femme n'est pas aussi mineur que ça.
Le retour en arrière des images sur l'accident d'Ali donnent lieu à plusieurs lectures. Ali est habillé comme un jockey et travaillait comme vétérinaire; les éleveurs étaient très satisfaits de lui. C'est à cheval qu'il se rendait à son travail jusqu'au jour où, suite à une fausse manœuvre ou à une brutalité devenue insupportable pour l'animal pourtant docile, le cheval se cabre, fait des ruades et ne s'arrête  que quand il désarçonne et renverse son cavalier. Et c'est la cause de son handicap. Est-ce une façon de suggérer une interrogation sur le rôle du vétérinaire: soigner les bêtes ou les dompter?
Ou, d'une façon générale, un débat sur ceux qui se détournent de leurs vocations, leurs rôles et leurs missions  et utilisent leurs compétences à d'autres fins? Est-ce pour montrer que la patience a des limites?

La femme et l'islam
L'islam est une composante essentielle de la personnalité algérienne; il est présent dans les coutumes, les traditions et la vie quotidienne. Dans son livre, "loin de Médine", Assia Djebar traite le thème à partir de ses racines. Médine est perçu comme le berceau de l'islam; c'est aussi le siège du pouvoir politique et religieux et aussi le pouvoir de l'homme. Le titre à lui seul peut donner lieu à une thèse de doctorat. Dans ce livre, Assia Djebar fait le portrait de femmes très connues qui ont vécu pendant l'âge d'or de l'islam (du vivant du prophète et ses compagnons) et au cœur du pouvoir. Il y a lieu de préciser qu'elle n' a rien inventé; le contenu de son travail n'apporte rien de nouveau. Les informations qu'elle donne sur les femmes dont elle fait le portrait ne diffère en rien de celles données par tous les musulmans. Assia Djebar cite parmi ses sources, Tabari qui est une référence importante en matière d'histoire de l'islam.
Précisons encore qu'elle n'a porté aucun jugement de valeur, ni positif, ni négatif; elle est restée neutre. Pourquoi écrire un tel livre, me diriez-vous?
Son originalité réside dans les détails qu'elle donne. On dit que ce sont les détails qui font l'histoire. Donc, tout est question de style. Le projet consiste à aborder l'apport de l'islam dans la culture des société musulmanes à travers le thème de la femme. Les détails qu'elle donne concernent les différents paramètres d'ordre culturel, psychologique et social. En littérature , il existe une technique qu'on appelle la focalisation ou la question du point de vue qui consiste à donner à voir les choses à partir d'une position ou d'un angle (à partir du personnage, de l'auteur ou d'une source extérieure plus grande qui peut être une science, une idéologie, une religion..); on met des personnages dans des situations et on les laisse interagir; On les met dans des conditions qui dévoilent leurs perceptions, leurs visions, leurs convictions, leurs idéologies, leurs caractères et leurs rapports avec leurs entourages.
Dans ce livre, Assia Djebar multiplie les points de vue et donne au lecteur toutes les possibilités de cerner un sujet ou une personnalité. C'est comme si on ouvrait toutes les portes et toutes les fenêtres d'une maison et qu'on donnait aux gens la possibilité de choisir les moyens d'accès. Le grand écrivain est celui respecte la liberté de son lecteur.

La femme algérienne et le 20° siècle
Le sujet est traité dans toutes ses œuvres et avec beaucoup de recul. Il faut tout un travail pour le cerner dans sa totalité. On se contentera ici, d'évoquer quelques points saillants à partir de deux livres: "les enfants du nouveau monde" et "le blanc de L'Algérie"

"Les enfants du nouveau monde".
C'est un roman sorti en 1963 et qui relate une situation antérieure; pendant la révolution (fin des années 50/ début des années 60).
C'est pendant cette période que se situe le rendez-vous de la femme algérienne avec le vingtième siècle; c'est-à-dire avec l'Histoire. Dans le premier chapitre, Assia Djebar met l'accent sur le grand enjeu, à savoir, la libération du pays. Le roman commence par une scène à l'intérieur d'une cour de maison d'un petite ville. En face, dans une montagne qui surplombe la ville, se déroule une bataille entre les maquisards algériens et l'armée coloniale. Pour se faire une idée sur le sens et la portée symbolique de la cour (le haouch), il faut se représenter une maison comme Dar Sbitar où vivaient plusieurs familles. La cour est un espace féminin: les femmes y passent leur temps; contrairement aux hommes qui passaient le leur à l'extérieur. Les femmes ne voient que des flammes et de la fumée. Dans la description qu'en fait l'auteure, il est question de spectacle. Les femmes qui sont cloîtrées dans la cour de cette maison sont isolées comme dans une prison, en dehors du temps et en hors du coup. C'est l'ancien monde; le nouveau monde est dans la montagne où se joue l'avenir du pays. Entre les deux, il y a la rue, c'est-à-dire des hommes et des femmes qui bougent, qui travaillent; qui vivent, d'une façon générale; ils ont le dos tourné aux espaces clos. Ils sont impliqués dans combat et ce sont eux qui alimentent le maquis.
Dans ce livre, Assia Djebar met en place les données du problème. La révolution avait besoin de tout le monde; l'avenir de la femme est lié à celui de son pays et son statut dépendra de sa participation à la lutte armée. Osera-t-elle/pourra-t-elle faire un pas vers le nouveau monde?  
Il est prématuré de donner une réponse à cette question. Car tout dépendra de l'issue de la révolution.

"Le blanc de L'Algérie"
Le livre est sorti en 1996. Assia Djebar l'a écrit pour rendre hommage aux intellectuels algériens et en particulier ceux qui ont été assassinés pendant ce qu'on appelle, avec un certain euphémisme, la décennie noire; les victimes du terrorisme. Cela ne l'empêche pas de faire de temps en temps un retour dans le passé pour expliquer une tragédie dont peu de gens comprenaient à l'époque, les tenants et les aboutissants. Rappelons que le terme "blanc" signifie dans ce contexte, les lacunes de l'histoire. C'est-à-dire la réalité que les historiens ne prennent pas en charge et qui se trouve du coup, reléguée dans un coin de la mémoire; donc, sujette à l'oubli. Ce sont les artistes qui s'en chargent donc. Un artiste n'explique pas; il donne à voir parce qu'il ne s'adresse pas directement à la raison et il n'est pas contraint de suivre un protocole bien déterminé. L'imaginaire est son affaire; son style (ses outils), c'est les images; son effet, c'est les émotions.
Il n'est pas nécessaire de rappeler que l'auteure prend beaucoup de recul et n'invente rien. Il serait très long de passer en revue tous les textes qui composent ce livre. Limitons-nous au thème de la femme et limitons-nous encore à deux cas.

Premier cas: la mort de Alloula
Quand Assia Djebar rend hommage à Abdelkader Alloula, elle profite de l'occasion pour dire quelques mots sur sa mère (en même temps la belle-mère d'Assia Djebar). La posture qu'elle prend ici est celle de toute algérienne qui parle de sa belle-mère. Donc, c'est en tant que bru et non qu'intellectuelle qu'elle prend la parole ici et elle fait comme une bru algérienne respectueuse et obéissante (par exemple, quand elle est en Algérie avec son mari, ils passent une partie de leurs séjours à Tlemcen par respect à la volonté de sa belle-mère)

Deuxième cas: le suicide de José Fanon.
En évoquant le suicide de José fanon, Assia Djebar met tous les algériens face à leur conscience et devant leur responsabilité. On se souvient que José Fanon (épouse du grand Frantz fanon) est morte en 1989. Elle se trouvait un jour au centre-ville à Alger quand elle fut attaquée par un groupe de jeunes barbus qui la piétinent, la couvrent de crachats et d'insultes. Son crime: elle ne portait pas de hidjab. D'autres passants la trouvent par terre et l'aident à se relever et à s'essuyer le visage, les cheveux et les vêtements. Elle les remercie et décline l'offre d'un homme qui lui propose de la déposer chez elle dans sa voiture.
Elle n'a donné aucune explication, elle ne s'est emportée contre personne et n'a même pas eu idée de déposer plainte. Elle a pris un taxi pour rentrer chez elle. Le jour même, elle prend un bain, se pare de ses meilleurs vêtements, rend visite à quelques amis, tout à fait sereine, comme si de rien n'était. Puis, de retour chez elle, elle se jette de son balcon.
En 1962, José fanon (une française) a choisi d'être algérienne (nationalité, carte d'identité, travail, résidence). Trente ans après, elle choisit de se tuer dans cette même Algérie. Il suffit de donner ces deux information pour déclencher toute une foule d'interrogations et susciter une quantité de réponses.
Le grand écrivain fait réfléchir et  la meilleure façon de lui témoigner de la considération c'est de lire ses livres.

Qu'en conclure?

On arrive au terme de ce voyage à l'intérieur des œuvres d'Assia Djebar où il a été plus question d'interrogations que d interprétations. J'ai choisi volontairement de mettre en relief les conditions de lisibilité de ses textes par respect pour la défunte qui a préféré prendre du recul, autant dire de la hauteur pour réfléchir sur le sort  de son pays auquel elle a consacré sa longue carrière. Elle a toujours cru ou fait semblant de croire à l'existence d'une volonté générale d'honorer la mémoire des uns et le sacrifice des autres pour bâtir une nation digne de ce nom.
Cela me fait penser à un roman d'André Malraux où il est question de la noblesse de l'aigle, lequel pique sur des lamelles de viande que lui expose un homme; faisant semblant de piquer sur des serpents, par respect pour l'astuce de cet homme.


Aouad Djillali
Saîda, le 13 avril 2015

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